
Dès qu’ils s’installèrent dans mon bureau, je sentis la tension entre eux. Léa et Gérard ne se communiquaient presque plus, sauf pour s’envoyer des regards chargés de reproches. Ce n’était pas une maison ou une pension alimentaire qui les amenait ici, mais un chien, Rocky, un labrador de cinq ans, devenu malgré lui l’enjeu principal de leur séparation.
Léa fut la première à rompre le silence, elle était venue déterminée. Rocky lui appartenait, c’était elle qui l’avait adopté, soigné, nourri et elle ne voyait aucune raison de céder. En face, Gérard croisa les bras, visiblement agacé, lui aussi revendiquait sa place auprès du chien. Depuis trois ans, il le sortait chaque matin et Rocky dormait systématiquement à ses pieds. Ce compagnon à quatre pattes était plus qu’un animal de compagnie, il était un repère dans ce qui restait de leur vie commune.
La discussion s’enflamma vite, chacun campant sur ses positions et répétant les mêmes arguments en boucle. Je laissai passer quelques instants avant d’intervenir : « Est-ce vraiment pour Rocky que vous vous battez ou y a-t-il autre chose qui n’est pas réglé entre vous ? »
Un silence s’installa, Léa fixant le sol comme si elle cherchait ses mots. Gérard, quant à lui, semblait pris de court. Léa s’exclama : « Évidemment ! », avant de se raviser. « Enfin… oui, bien sûr. ». Mais son ton trahissait un doute.
L’atmosphère était lourde dans la pièce. Léa tripotait nerveusement la fermeture de son sac à main, Gérard soupira, tout en jouant avec la coque de son smartphone.
A leurs yeux, Rocky n’était pas qu’un chien, il représentait bien plus. Cet animal était tout ce qu’il leur restait l’un de l’autre. Rocky avait été le témoin silencieux de leurs moments heureux, puis de leurs disputes et enfin de leur rupture. Perdre Rocky, c’était couper le dernier fil qui les liait encore. Gérard s’exprima d’une voix à peine audible : « Quand on s’est séparé, pour moi tout s’est effondré, mais avec Rocky, c’était différent, il était toujours là, comme un repaire, un pilier. Léa acquiesça de la tête et en baissant les yeux, elle caressa nerveusement l’ourlet de sa manche
La discussion reprit, mais différemment et ils parlèrent de leur chien, mais aussi de ce qu’il symbolisait. Ils évoquèrent les premières promenades, les moments où Rocky s’était blotti contre eux après une longue journée, les rares fois où il avait été malade et leur inquiétude commune. Peu à peu, une solution se dessina. Un sourire timide s’échappa des lèvres de Léa et juste un instant, le poids de la séparation sembla s’alléger.
Plutôt qu’un choix impossible, ils décidèrent d’un arrangement. Une garde alternée, des ajustements en fonction de leurs disponibilités. Rocky continuerait à faire partie de leurs deux vies, comme il l’avait toujours fait.
Ainsi, il fut mis en place un agenda déterminant les moments où ce compagnon serait auprès de sa maîtresse et auprès de son maître. Les parties ont encore réglé la répartition des coûts liés à Rocky.
Quand ils quittèrent la salle, Léa et Gérard ne se regardaient plus avec rancœur, mais avec une compréhension nouvelle. Ce jour-là, ils n’avaient pas seulement trouvé un accord concernant leur chien, mais ils avaient aussi, quelque part, réussi à tourner une page et avancer chacun dans leur vie séparée de leur conjoint. Quant à Rocky, il avait désormais un panier dans chaque logement et pouvait continuer à profiter de chacun de ses maîtres, alternativement.
Lausanne, le 3 avril 2025